Le soleil me chauffe. Encore et encore. Encore quelques jours et mon vaisseau, entouré d’une cuirasse, va pouvoir se libérer. J’attends depuis si longtemps ! Je suis immobile, mais il y a en moi un souvenir d’autres vies. La nuit tombe. Le noir, je le ressens comme une maladie. Mon corps ne bouge pas, il végète. Il hiberne.
Tiens, la chaleur à nouveau. J’ai comme une sensation que c’est bien le dernier jour de mon calvaire. Aujourd’hui, je pourrai ôter ma carapace. Je commence à bouger, je me tortille. Tout autour de moi craque. J’ai très peur, mais je persiste. Enfin, une illumination ! Les rayons du soleil maintenant caressent ma peau. Je prends un grand élan et, une après l’autre, je déploie le mince tissu replié depuis si longtemps, mes ailes. Elles sont resplendissantes. La fierté me gonfle, me donne des forces. Les membranes multicolores se défroissent au soleil. Je frissonne. C’est mon premier essai. Mon premier vol et mon premier atterrissage sur les épis violets. Dans mon minuscule cerveau, un souvenir surgit. C’est la lavande, ma prédestinée, ma préférée, convoitée, désirée, mon butin ! Je suis ce papillon le voiler, le lépidoptère le plus beau, le plus gracieux, le plus léger, magnifique, admirable, le plus sublime. Ma trompe se faufile à l’intérieur de la petite fleur violette à demi ouverte. Je savoure son nectar. Fameux. Mélange exquis de miellat de la rosée matinale et de la timidité d’aurore.
Alentour, je perçois des battements, des froissements, des fouettements... Au fur et à mesure, l’espace autour de moi c’est rempli de mes frères voltigeurs, mes compagnons ailés. Je suis au paradis des voiliers, des flambés, aux cieux des Iphiclides podlirius L. Je survole les sillons argentés, saupoudrés de pixels violets qui vont rétrécissant vers l’horizon. Les cloches de Sénanque sonnent les douze coups. Il est midi.
Métamorphose
Saint-Adjutory, 1er février 2015